L’algèbre linéaire transforme notre compréhension de l’espace grâce à une approche mathématique qui étend les concepts des espaces euclidiens à des structures plus abstraites comme les espaces vectoriels. Cet article explore comment des concepts simples tels que les coordonnées cartésiennes ont modifié notre représentation des espaces à travers des structures algébriques, en utilisant des corps pour généraliser les systèmes de nombres et la notion de dimension, et des matrices pour représenter les systèmes d’équations linéaires. Dans les espaces vectoriels et les applications linéaires, nous découvrons une théorie simple et puissante pour conceptualiser et manipuler des espaces de dimensions potentiellement infinies, démontrant ainsi l’universalité et la flexibilité de l’algèbre linéaire.
1.Des espaces réels à l’algèbre linéaire
1.1.L’arithmétisation du plan euclidien par l’introduction des coordonnées
La représentation mathématique du plan, de l’espace, de l’espace-temps… et des espaces en général, est essentiellement fondée sur la théorie des nombres réels d’une part, sur la méthode cartésienne des coordonnées d’autre part. En effet, alors que la méthode antique d’Euclide en géométrie est synthétique, c’est-à-dire fondée sur un système d’axiomes et de postulats d’où sont déduits directement les théorèmes, la méthode moderne de Descartes est dite analytique, c’est-à-dire fondée sur la représentation par des coordonnées des objets du plan euclidien, essentiellement des points.
Ces coordonnées, l’abscisse $x$ et l’ordonnée $y$ du tableau noir des salles de classes poussiéreuses, « repèrent » les points du plan par des nombres, essentiellement des nombres réels, afin de s’adapter à toutes les constructions géométriques. C’est à partir de cette méthode que le calcul est introduit en géométrie, grâce auquel sont évaluées les longueurs et les aires, mais aussi les volumes, en passant à l’espace euclidien avec sa troisième coordonnée. En somme, avec l’introduction des coordonnées dans le plan et dans l’espace c’est une « arithmétisation » de la géométrie qui marque l’approche moderne, là où l’Antiquité l’approchait de manière « logique ». Et avec cette arithmétisation, la géométrie euclidienne est réduite à la théorie des nombres réels.
1.2.La régénération des espaces réels à partir de la droite
L’introduction des coordonnées cartésiennes (l’adjectif « cartésien » vient du nom propre « Descartes ») dans la géométrie du plan et de l’espace a permis de représenter ceux-ci comme des ensembles « construits » à partir de l’ensemble $\mathbb R$ des nombres réels, précisément grâce à des produits, appelés cartésiens pour cette raison. Rappelons en effet que le produit cartésien de deux ensembles $E$ et $F$ est l’ensemble noté $E\times F$ et dont les éléments sont tous les couples $(a,b)$ pour lesquels $a\in E$ et $b\in F.$ Ainsi, le produit cartésien de $\mathbb R$ avec lui-même est l’ensemble noté $\mathbb R^2=\mathbb R\times\mathbb R,$ dont les éléments sont les couples $(x,y)$ de nombres réels, et le produit cartésien de $\mathbb R^2$ avec $\mathbb R$ est l’ensemble noté $\mathbb R^3$ de tous les triplets $(x,y,z)$ de nombres réels, c’est-à-dire des couples $((x,y),z)$ avec $x,y,z\in \mathbb R.$ Par récurrence, on définit l’ensemble $\mathbb R^n$ des $n$-uplets $(x_1,\ldots,x_n)$ de nombres réels, en posant $\mathbb R^{n+1}=\mathbb R^n\times \mathbb R.$
Ainsi, en identifiant un point du plan euclidien « intuitif » avec ses coordonnées $x$ et $y,$ on obtient une représentation ensembliste du plan par le produit cartésien $\mathbb R^2,$ dont les propriétés sont directement héritées de celles de la droite réelle $\mathbb R$ à travers la formation du produit cartésien. De même, l’ensemble $\mathbb R^3$ représente l’espace euclidien de l’intuition, et l’ensemble $\mathbb R^4$ l’espace-temps. En adoptant cette perspective, toute la géométrie euclidienne est ramenée à la théorie des nombres réels et à la théorie des ensembles, qui permettent à travers ces représentations d’en développer une théorie analytique exacte. C’est pour cette raison qu’on considère désormais que ces représentations ensemblistes sont le plan euclidien, l’espace euclidien, l’espace-temps… cette notion d’espace réel se généralisant commodément à des dimensions quelconques.
2.La réprésentation algébrique des espaces
2.1.De la structure algébrique du plan aux espaces vectoriels
Les espaces réels sont ainsi repensés dans le cadre de la théorie des ensembles, à partir de la théorie des nombres réels. La « structure » opératoire de la droite réelle $\mathbb R,$ à savoir l’addition et la multiplication des nombres réels, avec les éléments distingués $0$ et $1,$, « induit » une structure algébrique sur les éléments du plan euclidien $\mathbb R^2,$ dans le sens suivant. Si $(x,y),(x’,y’)\in \mathbb R^2$ et $a\in \mathbb R,$ on peut additionner $(x,y)$ et $(x’,y’)$ en posant $(x,y)+(x’,y’)=(x+x’,y+y’)$ (on additionne les coordonnées séparément) et on peut multiplier $(x,y)$ par le nombre $a$ en posant $a.(x,y)=(ax,ay)$ (on multiplie les deux coordonnées). Or, puisque le nombre réel $0$ vérifie l’addition $z+0=0+z=z$ pour tout nombre réel $z,$ on a aussi $(x,y)+(0,0)=(0,0)+(x,y)=(x,y),$ mais également $a.(0,0)=(0,0)$ pour tous $(x,y)\in \mathbb R^2$ et $a\in\mathbb R.$ Les éléments du plan, appelés points en général, sont donc les termes d’un « calcul » qu’on appelle « algèbre linéaire »; de ce point de vue, on les appelle vecteurs et le vecteur nul $(0,0)$ est l’origine du plan. Toutes les constructions géométriques qui ne dépendent que de ce calcul se transposent alors aux espaces qu’on peut former de la même manière à partir de n’importe quel corps $K,$ et qu’on appelle espaces vectoriels.
2.2.La notion d’espace vectoriel sur un corps commutatif
En effet, la structure « arithmétique » du corps $K$ (à savoir essentiellement l’addition, la soustraction, la multiplication et la division dans $K$) induit une structure « algébrique » analogue à celle du plan euclidien sur tous les espaces de la forme $K^n$ (ensemble des $n$-uplets $(x_1,\ldots,x_n)$ d’éléments de $K$), et plus généralement des « espaces » mathématiques construits à partir de $K$ et répondant au concept suivant.
Définition 1
Un espace vectoriel sur $K$ (ou $K$-espace vectoriel) est un triplet d’ensembles $(E,+,.),$ où $+:E\times E\to E$ (l’addition) et $.:K\times E\to E$ (la multiplication externe) sont deux opérations vérifiant les propriétés suivantes pour tous $u,v,w\in E$ et $a,b\in K$ :
i) Pour tous $u,v,w\in E,$ $(u+v)+w=u+(v+w)$ et $u+v=v+u$
ii) Il existe un élément $0\in E$ tel que pour tout $u\in E,$ $0+u=u+0=u$
iii) Pour tout $u\in E$ il existe $v\in E$ tel que $u+v=v+u=0$ (l’opposé de $u,$ noté $-u$)
iv) Pour tous $a,b\in K$ et $u,v\in E,$ on a $(a+b).u=a.u+b.u,$ $(a.b).u=a.(b.u),$ $a.(u+v)=a.u+a.v,$ $0.u=0$ et $1.u=u.$
Il ne faut pas ici confondre le $0$ à gauche de $.$ (élément de $K$) avec le $0$ à droite (élément de $E$) : en général, le contexte permet de trancher. Les éléments de $E$ sont appelés vecteurs, les éléments de $K$ sont appelés scalaires.
Exemple 1
i) Pour tout corps $K$ et tout entier naturel $n,$ l’ensemble $K^n$ est un espace vectoriel sur $K$ si on lui associe l’addition de vecteurs $(x_1,\ldots,x_n)+(y_1,\ldots,y_n)=(x_1+y_1,\ldots,x_n+y_n)$ et la multiplication externe $a.(x_1,\ldots,x_n)=(ax_1,\ldots,ax_n).$ Le zéro de $K^n$ est le vecteur nul $(0,\ldots,0).$
ii) Pour tout corps $K,$ l’anneau $K[X]$ des polynômes à une indéterminées et à coefficients dans $K$ est naturellement un $K$-espace vectoriel pour l’addition des polynômes et la multiplication externe par une constante : si $P=a_0+a_1X+\ldots+a_nX^n$ est un polynôme et $a\in K,$ on pose $a.P=aa_0+aa_1X+\ldots+aa_nX^n.$
iii) Si $I=[a,b]$ est un segment de la droite réelle, alors l’ensemble noté $C([a,b])$ des fonctions continues $f:[a,b]\to\mathbb R$ est un espace vectoriel réel. On additionne deux telles fonctions $f,g$ en chaque argument en posant $(f+g)(x)=f(x)+g(x)$ pour tout $x\in [a,b],$ et on multiplie par $a\in \mathbb R$ en posant $(a.f)(x)=a.f(x)$ pour tout $x\in [a,b].$ Le zéro de l’espace vectoriel est la fonction constante $x\in [a,b]\mapsto 0.$
iv) L’ensemble $\mathbb C$ des nombres complexes est un $\mathbb Q$-espace vectoriel pour l’addition usuelle des nombres complexes et la multiplication externe définie par $q.z:=qz$ (multiplication complexe) pour tous $q\in \mathbb Q$ et $z\in \mathbb C.$

3.Systèmes d’équations linéaires et matrices
3.1.Sous-espaces vectoriels
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