Analycité des fonctions holomorphes : indice et formules de Cauchy

Introduction : fonctions holomorphes et analytiques

En introduisant les fonctions holomorphes d’une variable complexe, c’est-à-dire dérivables au sens complexe, nous avons mis en lumière un exemple fondamental : celui des fonctions analytiques complexes, développables en série entière autour de chaque point. Il est essentiel de comprendre que les fonctions holomorphes sont précisément ces fonctions analytiques complexes, une équivalence que nous achevons d’explorer ici. Nous adoptons une approche où certaines intégrales curvilignes de fonctions complexes sont exprimables sous la forme de séries entières. En effet, grâce aux formules de Cauchy, une fonction holomorphe $f$ définie sur un ouvert plan $U$ peut être exprimée en chaque point $z$ de $U$ par une telle intégrale, précisément celle de la fonction $h(w)=(1/2i\pi) f(w)/(z−w).$ Cette méthode repose en fait sur l’intégration du rapport de monotonie $(f(w)−f(z))/(w-z)$ de $f$ en $z,$ révélant l’indice d’un point $z$ par rapport à une courbe $g,$ soit à la constante $2i\pi$ près le nombre de fois que la courbe entoure ce point. L’argument clé se trouve alors dans l’intégration de $f$ sur le bord d’un triangle, qui permet de lui trouver une primitive complexe sur tout ouvert convexe. Puisque les boules ouvertes sont des ouverts élémentaires et convexes, il suffit alors d’intégrer le rapport de monotonie de $f$ sur le bord d’une telle boule centrée en $z,$ et d’appliquer le calcul de l’indice.

1.Indice d’un point par rapport à un chemin fermé

1.1.Intégrale curviligne d’une fonction holomorphe sur un chemin

La dérivation d’une fonction holomorphe $f$ peut être réalisée, pour des raisons topologiques, par l’intégration d’une fonction construite à partir de $f.$ Il s’agit ici toutefois non pas d’une intégrale sur un sous-ensemble standard de $\mathbb C,$ d’aire non nulle, mais d’une intégrale sur un chemin qui encercle le point auquel on calcul la dérivée de $f.$ Cette intégrale est alors plutôt celle d’une fonction à valeur complexes et définie sur un intervalle réel, à partir de la notion suivante :

Définition 1
Nous dirons qu’une courbe paramétrée $g:[a,b]\to\mathbb C,$ définie sur un segment réel, est un chemin, si la fonction $g$ est continûment différentiable, c’est-à-dire si $g$ est dérivable et sa dérivée $g’$ est continue. Nous dirons alors que le chemin $g$ est fermé si $g(a)=g(b),$ c’est-à-dire si il se termine au point où il commence.

Ceci étant dit, la fonction complexe est à intégrer, dans le contexte qui nous intéresse, sur l’image d’un tel chemin, autrement dit par rapport à la variable complexe. On définit alors l’intégrale curviligne d’une telle fonction à partir d’une substitution qui nous sert ici de définition implicite de l’élément différentiel complexe $dz,$ qui apparaît dans l’expression :

Définition 2
Si $g:[a,b]\to\mathbb C$ est un chemin, et si $f:U\to\mathbb C$ est une fonction continue définie sur un ouvert du plan contenant l’image $Im(g)$ de $g,$ l’intégrale de $f$ le long de $g,$ notée $\int_g f(z)\ dz,$ est par définition l’intégrale $\int_a^b f(g(t)).g'(t)\ dt.$

Ainsi, l’utilisation du paramètre $g$ permet d’éviter l’introduction à ce stade de la théorie des formes différentielles : l’intégrale curviligne d’une fonction holomorphe est conçue par analogie avec la formule du changement de variables, le paramètre du chemin permettant de se ramener à une intégrale sur son intervalle de définition.

Exemple 1
Un cas particulier d’intégrale curviligne est celle d’une fonction holomorphe $f:U\to\mathbb C$ sur un segment $[c,d]\subset U.$ Le segment $[c,d]$ est l’image du chemin $g:t\in [0,1]\mapsto t.c+(1-t).d,$ de sorte que l’intégrale de $f$ sur le segment $[c,d]$ est par définition l’intégrale de $f$ le long de $g,$ soit $\int_{[c,d]} f(z)\ dz=\int_g f(z)\ dz=\int_0^1 f(tc+(1-t)d).(c-d)\ dt,$ puisque $g'(t)=c-d$ pour tout $t\in [0,1].$

1.2.Indice d’un point par rapport à un chemin fermé

Dans ce contexte apparaît naturellement la notion d’indice, qui formalise l’idée du « nombre de tours » (compté algébriquement avec le sens de rotation) qu’un chemin fermé $g:[a,b]\to\mathbb C$ réalise « autour » d’un point $z$ (pris en-dehors de l’image de $g$). Comme l’intervalle $[a,b]$ est compact et $g$ est continue, on sait par ailleurs que $Im(g)$ est un sous-ensemble fermé et borné du plan complexe : il existe un nombre réel $R>0$ tel que $Im(g)\subset \overline B_R(0)=\{z\in \mathbb C : |z|\leq R\},$ donc tous les points de la forme $z=g(t)$ sont de module $\leq R.$ Cela signifie en particulier que pour tout nombre complexe $z$ tel que $|z|>R,$ le point $z$ est « en-dehors » (de l’image) du chemin $g,$ et qu’alors son indice devrait être nul. Ces considérations s’accordent avec la définition suivante de l’indice, en notant que le complémentaire de $Im(g)$ dans $\mathbb C$ est un sous-ensemble ouvert :

Définition 3
Si $U=\mathbb C-Im(g)$ est le complémentaire de l’image de $g$ dans $\mathbb C,$ pour tout $z\in U$ l’indice de $z$ par rapport à $g$ est le nombre complexe $Ind_g(z)=(1/2i\pi)\int_g dw/(w-z).$

L’indice d’un point par rapport à un chemin fermé possède des propriétés particulières, et notamment relativement aux composantes de l’ensemble ouvert $U.$ Ces composantes sont les sous-ensembles ouverts connexes maximaux $O$ de $U,$ c’est-à-dire ici pour lesquels tous points $w_1,w_2\in O$ sont reliés par un chemin $h:[c,d]\to O$ (c’est-à-dire tel que $h(c)=w_1$ et $h(d)=w_2$). Les points « hors de $g$ » se situent alors dans la seule composante non bornée de $U,$ et l’indice prend des valeurs entières constantes sur chaque composante :

Théorème 1
L’indice par rapport à $g$ est une fonction de $U=\mathbb C-Im(g)$ à valeurs dans $\mathbb Z,$ constante sur chaque composante de $U,$ et nulle sur son unique composante non bornée.

Cette propriété repose sur la caractérisation du noyau de l’exponentielle complexe $\exp:\mathbb C\to\mathbb C^*$ (c’est-à-dire de l’ensemble $2i\pi\mathbb Z=\{z\in \mathbb C : \exp z=1\}$), les propriétés de la fonction $\phi(t)=\int_a^t g'(t)/(g(t)-z)\ dt$ (qui apparaît implicitement dans la définition de l’indice $Ind_g(z)=(1/2i\pi)\int_g dw/(w-z)=(1/2i\pi)\int_a^b g'(t)/(g(t)-z)\ dt$) et le caractère holomorphe de la fonction « indice par rapport à g » $Ind_g:\Omega\to\mathbb C$ (qui découle de la proposition 1).

1.3.Calcul de l’indice par rapport à un cercle

En fait, même si la théorie de l’indice est essentielle à l’analyse complexe, pour montrer l’analyticité des fonctions holomorphes nous n’en avons essentiellement besoin que dans un cas bien particulier, celui d’un cercle, puisqu’en tant que chemin fermé il délimite une boule ouverte, composante élémentaire de la topologie du plan :

Théorème 2
Si $g:[0,2\pi]\to\mathbb C$ est le cercle de centre $c\in \mathbb C$ et de rayon $r>0,$ paramétré de manière standard par $g:t\mapsto c+re^{it}=c+(r\cos t+ir\sin t),$ alors on a :
– $Ind_g(z)=1$ si $|z-c|<r$ (c’est-à-dire si $z\in B_r(c)$)
– $Ind_g(z)=0$ si $|z-c|>r$ (c’est-à-dire si $z$ est dans la composante non bornée de $\mathbb C-Im(g)$).

En effet, ici les nombres complexes $z$ tels que $|z-c|>r$ sont dans la composante non bornée de l’ensemble ouvert $\mathbb C-Im(g),$ et leur indice est donc nul par le théorème 1, tandis que les éléments de la boule ouverte $B_r(z)$ sont dans la même composante que $c,$ et possèdent donc le même indice $\begin{eqnarray} Ind_g(c)&=&1/(2i\pi)\int_\gamma dz/(z-c)\\&=&1/(2i\pi)\int_0^{2\pi} [1/(c+re^{it}-c)] \times ire^{it}\ dt\\&=&(1/2\pi)\int_0^{2\pi} dt=1.\end{eqnarray}$

2.Les formules de Cauchy

2.1.La première formule de Cauchy

Les formules de Cauchy (théorèmes 3 et 4) sont au cœur de l’analyse complexe. Il en existe plusieurs versions, et celles que nous adoptons ici reposent sur la considération d’ouverts convexes du plan,, c’est-à-dire de sous-ensembles ouverts $U$ tels que pour tous points $z,w\in U,$ le segment $[z,w]$ est tout entier inclus dans $U.$ On constate que ce type d’ouvert est toujours connexe, avec une propriété plus exigeante que celle de la connexité : deux points quelconque doivent pouvoir être reliés dans $U$ par un segment, et pas seulement par un chemin. La considération de ces sous-ensembles permet alors de démontrer la 1re formule de Cauchy, par exemple sous la forme suivante, à partir de la construction d’une primitive (complexe) d’une fonction continue, et holomorphe sauf peut-être en un point :

Théorème 3 (1re formule de Cauchy)
Si $U$ est un ouvert convexe du plan et $g:[a,b]\to\mathbb C$ un chemin fermé dans $U,$ et si $p$ est un point de $U$ et $f:U\to\mathbb C$ une fonction continue et holomorphe sur $U-\{p\},$ alors il existe une fonction holomorphe $F:U\to\mathbb C$ telle que $F’\equiv f.$ En particulier, on a $$\int_g f(z)\ dz=0.$$

La primitive complexe $F$ est définie ici comme $F(z):=\int_{[c,z]} f(w)\ dw$ (voir l’exemple 1). Le fait que $F’\equiv f$ s’établit en revenant à la définition de la dérivation complexe à partir du rapport de monotonie $(F(z)-F(z_0))/(z-z_0)$ en un point donné $z_0\in U$ : par convexité les segments $[c,z_0],[z_0,z]$ et $[z,c]$ sont inclus dans $U,$ donc le triangle fermé $\Delta$ (« Delta ») de sommets $c,z_0,z$ aussi, et on peut alors exprimer la différence $F(z)-F(z_0)$ comme l’intégrale $\int_{[z_0,z]} f(w)\ dw$ grâce au principe essentiel suivant, qui repose sur les propriétés d’association des intégrales curvilignes et sur la compacité des triangles fermés dans le plan :

Lemme 1
Si $\Delta$ est un triangle fermé inclus dans un ouvert du plan $U,$ et si $f:U\to \mathbb C$ est une fonction continue, dont la restriction à $U-{p}$ est holomorphe pour un certain point $p\in U,$ alors on a $\int_{\partial \Delta} f(z)\ dz=\int_{[c,z_0]}f +\int_{[z_0,z]} f+\int_{[z,c]} f=0,$ où $\partial\Delta$ est le bord du triangle $\Delta.$

L’expression de $F(z)-F(z_0)$ comme intégrale découle alors de la nullité de l’intégrale de $f$ sur le bord de $\Delta,$ et on peut en tirer un encadrement de $|\dfrac{F(z)-F(z_0)}{z-z_0}-f(z_0)|=|\dfrac{1}{z-z_0}\int_{[z_0,z]} f(w)-f(z_0)\ dw|$ à partir de la continuité de $f.$ Finalement, l’existence de $F$ entraîne la formule, puisque par définition on a $\int_g f(z)\ dz=\int_a^b f(g(t)).g'(t)\ dt=\int_a^b F'(g(t)).g'(t)\ dt= \int_a^b (F\circ g)'(t)\ dt.$ Par le théorème fondamental de l’analyse, cette intégrale vaut en effet $F(g(b))-F(g(a))=0,$ puisque $g(a)=g(b)$ !

2.2.La seconde formule de Cauchy

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