Les applications affines du plan euclidien sont celles qui préservent sa structure affine, c’est-à-dire essentiellement l’alignement des points et le parallélisme des droites. Ce critère permet d’en donner une définition analytique, c’est-à-dire à partir de coordonnées. Ces sont aussi essentiellement les applications possédant une description analytique précise dans tout repère cartésien, et elles préservent les barycentres, c’est-à-dire essentiellement les représentations de points dans des bases affines. Les transformations affines sont les applications affines bijectives du plan, et elles forment un groupe, contenant les groupes des translations et des transformations linéaires comme sous-groupes.
1.Applications affines du plan euclidien
1.1.Applications affines
Alors que les applications linéaires du plan euclidien sont celles qui préservent sa structure « vectorielle », essentiellement l’addition des vecteurs et la multiplication de vecteurs par un nombre réel, la notion de colinéarité de deux vecteurs permet de définir le parallélisme des droites du plan. Ainsi l’alignement des points et le parallélisme constituent-ils une transposition, des vecteurs aux points et aux droites affines, de la structure vectorielle sur la structure dite « affine » du plan, qui possède ses propres « morphismes », c’est-à-dire les applications qui la préservent.
On considérera alors qu’une application $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ préserve la structure affine, si elle conserve l’alignement des points et le parallélisme des droites, autrement dit si quels que soient les points $M,N,P,Q$ du plan tels qu’il existe un nombre réel $a$ pour lequel $\overrightarrow{MN}=a.\overrightarrow{PQ},$ on a $\overrightarrow{f(M)f(N)}=a.\overrightarrow{f(P)f(Q)}.$ Ceci nous amène à considérer la définition classique des applications dites « affines » :
Définition 1
Une application $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est dite affine, si il existe une application linéaire $g:\mathbb R^2\to \mathbb R^2,$ appelée partie linéaire de $f,$ telle que pour tous points $M,N\in\mathbb R^2$ on a $f(N)=f(M)+g(\overrightarrow{MN}).$
Exemple 1
i) La translation de vecteur $u\in\mathbb R^2$ est l’application qui associe à tout point $M\in\mathbb R^2$ le point $M+u.$ C’est une application affine de partie linéaire l’application indentique $v\in\mathbb R^2\mapsto v\in\mathbb R^2.$ Réciproquement, une telle application est une translation, de vecteur $u=\overrightarrow{Mf(M)}$ pour tout $M\in\mathbb R^2.$
ii) Si $r:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est une rotation vectorielle et $M\in\mathbb R^2,$ alors l’application $f:N\in \mathbb R^2\mapsto M+r(\overrightarrow{MN})$ est une application affine bijective, appelée rotation affine de centre $M.$
La partie linéaire d’une application affine est unique. En effet, si $f$ est une application affine du plan de partie linéaire $g,$ alors soit $M\in\mathbb R^2$ : pour tout vecteur $u$ on a par définition $f(M+u):=f(M)+g(u),$ soit $g(u)=f(M+u)-f(M),$ ce qui détermine $g$ de manière unique.
1.2.Caractérisation des applications affines
La condition de la définition 1 peut être affaiblie en l’existence d’un point auquel la description s’applique :
Proposition 1
Une application $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est affine si et seulement si il existe un point $A$ et une application linéaire $g$ du plan tels que pour tout point $B$ on a $f(B)=f(A)+g(\overrightarrow{AB}),$ et $g$ est alors la partie linéaire de $f.$
En effet, si $f$ est affine par définition cette propriété est vérifiée : il suffit de choisir pour $A$ n’importe quel point du plan. Inversement, si cette propriété est vérifiée soient $M,N$ deux points quelconques : on a $f(M):=f(A)+g(\overrightarrow{AM}),$ d’où $f(N)=f(A+\overrightarrow{AM}+\overrightarrow{MN})$ $:=f(A)+g(\overrightarrow{AM})+g(\overrightarrow{MN})$ (par linéarité de $g$) $=f(M)+g(\overrightarrow{MN}),$ de sorte que $f$ est affine, de partie linéaire $g.$
Exemple 2
i) Toute application linéaire $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ peut être considérée comme application affine égale à sa propre partie linéaire, en remarquant que pour tout $M$ on a $f(M)=O+f(\overrightarrow{OM})$ puisque $M=\overrightarrow{OM}$ avec $O=(0,0)$ l’origine du plan.
ii) Si $M$ est un point du plan, l’application constante $f:N\in\mathbb R^2\mapsto M$ est affine, de partie linéaire $g$ nulle. En effet, pour tout $N$ on a alors $f(N)=f(M)=f(M)+g(\overrightarrow{MN}).$
1.3.Alignement et parallélisme
Une application affine $f$ de partie linéaire $g$ préserve l’alignement et le parallélisme au sens suivant.
Si $M,N,P$ sont trois points alignés, c’est qu’il existe $a\in\mathbb R$ tel que $\overrightarrow{MP}=a.\overrightarrow{MN},$ d’où $\overrightarrow{f(M)f(P)}=g(\overrightarrow{MP})=a.g(\overrightarrow{MN})$ $=a.\overrightarrow{f(M)f(N)},$ et $f(M),f(N),f(P)$ sont alignés.
De même, si $(MN)$ et $(PQ)$ sont deux droites parallèles, c’est que $M\neq N,$ $P\neq Q$ et $\overrightarrow{MN}$ et $\overrightarrow{PQ}$ sont colinéaires. Il existe alors $a\neq 0$ tel que $\overrightarrow{PQ}=a.\overrightarrow{MN},$ donc $\overrightarrow{f(P)f(Q)}=g(\overrightarrow{PQ})=a.g(\overrightarrow{MN})$ $=a.\overrightarrow{f(M)f(N)}$ et si $f(M)\neq f(N)$ et $f(P)\neq f(Q),$ les droites $(f(M)f(N))$ et $(f(P)f(Q))$ sont parallèles.
La relation de Chasles entre vecteurs du plan euclidien s’énonce comme suit :
Lemme 1
Si $A,B,C\in\mathbb R^2$ sont trois points, alors par définition on a $\overrightarrow{AC}=\overrightarrow{AB}+\overrightarrow{BC}.$
Une conséquence remarquable de la relation de Chasles est qu’une application préservant l’alignement et le parallélisme au sens présent est réciproquement une application affine au sens de la définition 1.
Détails de la démonstration
Soit en effet $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ telle que pour tous $M,N,P,Q\in \mathbb R^2$ et $a\in\mathbb R$ pour lesquels $\overrightarrow{PQ}=a.\overrightarrow{MN},$ on a $\overrightarrow{f(P)f(Q)}=a.\overrightarrow{f(M)f(N)},$ et soit $g$ l’application du plan qui associe à tout vecteur $u=\overrightarrow{MN}$ le vecteur $\overrightarrow{f(M)f(N)}.$
L’application $g$ est bien définie, puisque si $u=\overrightarrow{MN}=\overrightarrow{PQ}$ on a $\overrightarrow{f(M)f(N)}=\overrightarrow{f(P)f(Q)}$ par définition, et elle est naturellement additive, puisque si $u=\overrightarrow{MN}$ et $v=\overrightarrow{PQ},$ on a aussi $v=\overrightarrow{NR}$ pour $R=N+\overrightarrow{PQ},$ de sorte que $g(u+v)=g(\overrightarrow{MN}+\overrightarrow{NR})=g(\overrightarrow{MR})$ $:=\overrightarrow{f(M)f(R)}=\overrightarrow{f(M)f(N)}+\overrightarrow{f(N)f(R)}$ (par le lemme 1) $:=g(u)+g(v).$
Enfin, $g$ est homogène puisque pour tous $u=\overrightarrow{MN}$ et $a\in\mathbb R$ on a $a.u=\overrightarrow{PQ}$ avec $P=a.M$ et $Q=a.N,$ de sorte que $g(a.u):=g(\overrightarrow{PQ})=\overrightarrow{f(P)f(Q)}=a.\overrightarrow{f(M)f(N)}$ $=a.g(u).$ Finalement, l’application $g$ est linéaire et par définition, pour tous points $M,N\in \mathbb R^2$ on a $f(N)=f(M)+g(\overrightarrow{MN}).$
Les applications affines du plan possèdent donc la caractérisation fondamentale suivante :
Proposition 2
Une application $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est affine si et seulement si pour tous point $M,N,P,Q$ du plan et tout nombre réel $a$ tels que $\overrightarrow{PQ}=a.\overrightarrow{MN},$ on a $\overrightarrow{f(P)f(Q)}=a.\overrightarrow{f(M)f(N)}.$
1.4.Repères cartésiens
De même que les bases du plan euclidien sont les systèmes de deux vecteurs $(u,v)$ permettant de représenter les vecteurs du plan, les repères cartésiens du plan euclidien sont les systèmes, formés d’un point $M$ et d’une base $(u,v),$ qui permettent de repérer les points du plan par des coordonnées.
Ainsi, de même que les bases du plan permettent de représenter les applications linéaires, les repères cartésiens permettent de représenter les applications affines. Le point $M$ est l’origine du repère et le couple $B=(u,v)$ la base du repère. Pour tout point $N$ du plan, le vecteur $\overrightarrow{MN}$ se décompose alors de manière unique dans la base $B,$ et si $a$ et $b$ sont ses coordonnées dans cette base on peut écrire de manière unique $N=M+a.u+b.v.$
Définition 2
Un repère cartésien est un couple $R=(M,(u,v)),$ où $M$ est un point du plan et $(u,v)$ une base du plan. Les coordonnées d’un point $N$ du plan dans le repère $R$ sont les coordonnées du vecteur $\overrightarrow{MN}$ dans la base $(u,v).$
Les applications affines sont celles qui possèdent une description analytique précise dans tout repère cartésien $R=(M,(u,v))$ au sens suivant.
Explications
Si $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est une application affine, sa partie linéaire $g$ possède dans la base $(u,v)$ la description analytique $g:x.u+y.v\mapsto (ax+cy).u+(bx+dy).v,$ avec $a,b,c,d$ déterminés par $g(u)=a.u+b.v$ et $g(v)=c.u+d.v.$ Par conséquent, si $P=M+x.u+y.v$ est un point du plan de coordonnées $(x,y)$ dans le repère $R,$ alors on a
$f(P):=f(M)+g(\overrightarrow{MP})$ $=f(M)+(ax+cy).u+(bx+dy).v,$
de sorte que les coordonnées de $f(P)$ dans le repère $(f(M),(u,v))$ sont $(ax+cy,bx+dy).$
Si donc $(x_0,y_0)$ sont les coordonnées du vecteur $\overrightarrow{Mf(M)}$ dans la base $(u,v),$ les coordonnées de $f(P)$ dans le repère $R$ sont finalement $(x_0+ax+cy,y_0+bx+dy),$ et l’application affine $f$ a pour description analytique $f(M+x.u+y.v)=M+(x_0+ax+cy).u$ $+(y_0+bx+dy).v.$ Ses « coordonnées » dans le repère $R$ sont donc $(x,y)\mapsto (x_0+ax+cy,y+bx+dy).$
Inversement, étant donnés six paramètres réels $x_0,y_0,a,b,c,d,$ on définit une application affine $f$ du plan en posant, pour tout $N=M+x.u+y.v$ de coordonnées $(x,y)$ dans le repère $R,$
$f(N):=M+(x_0+ax+cy).u$ $+(y_0+cx+dy).v.$
En effet, on a par définition $f(M)=M+x_0.u+y_0.v,$ et l’application $g:x.u+y.v\mapsto (ax+cy).u+(cx+dy).v$ est linéaire, de sorte que pour tout point $N=M+x.u+y.v$ il vient $f(N)=f(M)+g(\overrightarrow{MN})$ : $f$ est une application affine de partie linéaire $g.$

2.Transformations affines du plan
2.1.Composition des applications affines
De même que la composition de deux applications linéaires est linéaire, la composition de deux applications affines est affine. Pour le voir, donnons-nous deux applications affines $f,g:\mathbb R^2\to\mathbb R^2,$ de parties linéaires respectives $L(f)$ et $L(g).$ Soient $M,N$ deux points quelconques : par définition on a $g\circ f (N)=g(f(N))$ $=g(f(M))+L(g)(\overrightarrow{f(M)f(N)}).$ Or, on a aussi $\overrightarrow{f(M)f(N)}=f(N)-f(M)=L(f)(\overrightarrow{MN}),$ de sorte que $g\circ f(N)=g\circ f(M)+L(g)\circ L(f)(\overrightarrow{MN}).$ Puisque $L(g)\circ L(f)$ est une application linéaire comme composée de deux applications linéaires, nous avons donc montré la
Proposition 3
Si $f,g$ sont deux applications affines du plan euclidien de parties linéaires respectives $L(f),L(g),$ alors $g\circ f$ est une application affine, de partie linéaire $L(g)\circ L(f).$
Exemple 3
i) Si $f$ est la translation de vecteur $u$ et $g$ la translation de vecteur $v,$ alors pour un point $M$ donné l’application affine $g\circ f$ est décrite par $g\circ f(N)=g\circ f(M)+\overrightarrow{MN}$ $=(M+u+v)+\overrightarrow{MN}=N+u+v$ pour tout $N\in\mathbb R^2,$ puisque $L(g)\circ L(f)=Id\circ Id=Id.$
ii) Si $s$ est une symétrie vectorielle $(x,y)\mapsto (ax+by,bx-ay)$ (avec $a^2+b^2=1$), on peut la considérer comme l’application affine $M\mapsto O+s(\overrightarrow{OM})=s(M),$ égale à sa propre partie linéaire — voir l’exemple 2(i). Soit $g$ une translation de vecteur $u$ : l’application composée $g\circ s$ est une application affine, décrite par rapport au point $O$ par $g\circ s(M)=g(O)+s(\overrightarrow{OM})$ (puisque $s(O)=O$ et $L(g)=Id$) $=u+s(M)$ pour tout $M\in\mathbb R^2.$ Dans l’autre sens, la composée $s\circ g$ est l’application affine décrite par $s\circ g(M)=s\circ g(O)+s(\overrightarrow{OM})=s(u)+s(M)$ pour tout $M$ : si $u\neq s(u)$ (c’est-à-dire si $u$ n’est pas sur l’axe de symétrie de $s$), on a donc $s\circ g\neq g\circ s.$
2.2.Les transformations affines du plan
De même qu’on distingue parmi les applications linéaires du plan celles qui sont bijectives et qu’on appelle transformations linéaires, on distingue parmi les applications affines du plan celles qui sont bijectives, à partir de la caractérisation suivante :
Proposition 4
Une application affine $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est bijective si et seulement si sa partie linéaire $g$ est bijective, et alors la bijection réciproque $f^{-1}$ est affine, de partie linéaire $g^{-1}.$
Démontrons-le. Soit $A\in \mathbb R^2$ un point quelconque : par définition de $f$ et $g,$ pour tout point $B\in \mathbb R^2$ on a $f(B)=f(A)+g(\overrightarrow{AB}).$ Supposons alors que $g$ est bijective et soit $C\in \mathbb R^2$ : il existe un unique vecteur $u\in \mathbb R^2$ tel que $g(u)=\overrightarrow{f(A)C}$, donc tel que $f(A+u)=f(A)+g(u)=f(A)+\overrightarrow{f(A)C}=C.$ Par conséquent, il existe un unique point $B:=A+u$ tel que $f(B)=C,$ donc $f$ est bijective.
Réciproquement, si $f$ est bijective soit $v\in \mathbb R^2$ : il existe unique point $B\in \mathbb R^2$ tel que $f(B)=f(A)+v$, c’est-à-dire tel que $g(\overrightarrow{AB})=f(B)-f(A)=v.$ En particulier, il existe un unique vecteur $u:=\overrightarrow{AB}$ tel que $g(u)=v,$ donc $g$ est bijective.
Enfin par la proposition 3, on a $L(f)\circ L(f^{-1})=L(f\circ f^{-1})=Id$ $=L(f^{-1}\circ f)=L(f^{-1})\circ L(f),$ donc $L(f^{-1})$ est la bijection réciproque de $L(f)=g,$ c’est-à-dire $g^{-1}.$
On parle alors aussi de transformation affine pour une application linéaire bijective.
Exemple 3
i) Les isométries affines du plan sont par définition les applications affines dont la partie linéaire est une isométrie vectorielle. Ce sont donc des transformations affines. On distingue alors les rotations affines (dont la partie linéaire est une rotation vectorielle) et les symétries affines (dont la partie linéaire est une symétrie vectorielle).
ii) Puisque l’identité est une transformation linéaire du plan, les translations sont des transformations affines.
2.3.Transformations affines et repères cartésiens
Si $R=(A,(u,v))$ est un repère cartésien et $f$ est une transformation affine de partie linéaire $g,$ alors $(g(u),g(v))$ est une base du plan, puisque $g$ est une transformation linéaire. On peut donc définir l’image du repère $R$ par la transformation $f$ comme le repère $f(R):=(f(A),(g(u),g(v))).$ Les repères cartésiens du plan sont toujours associés de cette manière par une transformation affine :
Proposition 5
Si $R=(A,(u,v))$ et $R’=(A’,(u’,v’))$ sont deux repères cartésiens du plan euclidien, alors il existe une unique transformation affine $f$ telle que $f(R)=R’.$
Démontrons-le : il suffit de considérer qu’un point $M$ du plan possède une décomposition unique dans $R,$ de la forme $M=A+x.u+y.v.$ On pose alors $g(x.u+y.v):=x.u’+y.v’,$ pour tout vecteur $x.u+y.v$ de coordonnées $(x,y)$ dans la base $(u,v),$ application linéaire telle que $g(u)=u’$ et $g(v)=v’,$ et $f(M):=A’+g(\overrightarrow{AM})$ pour tout point $M,$ application affine telle que $f(R)=R’.$
L’unicité est évidente, et nous sert en fait d’heuristique pour déterminer $f$ : si une application affine $h$ de partie linéaire $k$ envoie $R$ sur $R’,$ c’est que $h(A)=A’$ et $k(u)=u’,k(v)=v’$ : on a donc $g=k,$ et pour tout point $M$ aussi $h(M)=A’+g(\overrightarrow{AM})=f(M),$ soit $f=h.$
2.4.Le groupe des transformations affines du plan
La composition et l’inversion de transformations linéaires du plan sont encore des transformation linéaires. Si on note $GL(\mathbb R^2)$ l’ensemble de ces transformation linéaires, alors on dit que le triplet d’ensembles $(GL(\mathbb R^2),\circ,Id),$ où $\circ$ est la (restriction de la) fonction de composition des bijections du plan et $Id$ l’application identique du plan, est un groupe. La théorie des groupes, né avec l’étude par Evariste Galois des solutions d’équations diophantiennes, est un vaste et incontournable domaine de la mathématique moderne, qui permet de conceptualiser de manière structurelle d’innombrables phénomènes réversibles décrits de manière élémentaire. Dans l’algèbre linéaire et la géométrie affine, elle joue un rôle fondamental, au point où les différentes « géométries » peuvent être recouvrées à partir de leurs groupes de transformations (c’est le fameux programme d’Erlangen de Felix Klein).
Or, par la proposition 3 la composition de deux applications affines est une application affine, et par la proposition 4 l’inverse d’une bijection affine est une application affine : les transformations affines forment donc un groupe, sous-groupe aussi du groupe des bijections du plan. En fait — par l’exemple 2(i) — le groupe linéaire $GL(\mathbb R^2)$ est lui-même un sous-groupe de ce groupe affine $GA(\mathbb R^2),$ et par les mêmes propositions 3 et 4 l’application $L$ qui associe à la transformation affine $f\in GA(\mathbb R^2)$ sa partie linéaire $L(f)\in GL(\mathbb R^2)$ est un homomorphisme de groupes (fonction qui préserve la structure) du groupe affine $(GA(\mathbb R^2),\circ,Id)$ dans le groupe linéaire $(GL(\mathbb R^2),\circ,Id).$
Mais cet homomorphisme est surjectif, puisque toute transformation linéaire est une transformation affine, identique à sa propre partie linéaire, et le noyau de cet homomorphisme est constitué de l’ensemble des transformations affines $f$ de partie linéaire l’identité, autrement par le groupe des translations (exemple 1). Ainsi, le groupe des transformations linéaires du plan peut-être considéré comme quotient du groupe des transformations affines par le groupe des translations. Dans l’autre sens, le groupe des transformations affines peut-être « reconstruit » comme produit semi-direct du groupe linéaire et du groupe des translations, ce que nous n’entreprendrons pas ici.
3.Bases affines et barycentres
3.1.Bases affines du plan
Les espaces de l’intuition ne sont pas donnés avec une origine et un système de coordonnées : pour nous y repérer il faut parfois choisir des points, alors judicieusement dénommés comme « points de repère ». Il existe ainsi dans le plan, et en général dans tous les espaces affines, l’idée d’une représentation alternative aux repères cartésiens. Il s’agit ici d’oublier en quelque sorte la structure vectorielle qui apparaît encore dans la distinction entre origine et base d’un repère, pour représenter les points à partir d’un analogue affine d’une base vectorielle. De même que deux vecteurs non colinéaires suffisent à repérer n’importe quel vecteur du plan, trois points non alignés suffisent à repérer n’importe quel point.
Définition 3 (rappel)
Nous dirons que trois points $M,N,P$ du plan sont alignés, si il existe une droite affine $D$ telle que $M,N,P\in D.$
Dans le cas contraire, trois points non alignés sont toujours deux-à-deux distincts, et la condition est équivalente à ce que les vecteurs $\overrightarrow{MN},\overrightarrow{MP}$ sont linéairement indépendants. C’est pourquoi trois points non alignés forment toujours une « base affine » au sens suivant :
Proposition 6
Si $M,N,P$ sont trois points non alignés du plan euclidien, alors pour tout point $Q$ il existe des nombres réels uniques $a,b,c$ tels que $Q=aM+bN+cQ$ et $a+b+c=1.$
Démontrons-le : puisque $\overrightarrow{MN},\overrightarrow{MP}$ ne sont pas colinéaires, ils forment une base du plan, donc il existe des nombres réels uniques $x,y$ tels que $\overrightarrow{MQ}=$ $x.\overrightarrow{MN}+y.\overrightarrow{MP},$ soit $Q=M+x.N-x.M+y.P-y.M$ $=(1-x-y).M+x.N+y.P,$ et pour constater l’existence il suffit alors de poser $a=1-x-y,b=x,c=y.$
Unicité des coordonnées affines
L’unicité de $a,b,c$ provient évidemment de celle de $x,y$ : si $Q=a’.M+b’.N+c’.P$ et $a’+b’+c’=1,$ posons $x’=b’,y’=c’$ : on a $\overrightarrow{MQ}=Q-M$ $=(a’-1).M+b’.N+(b’.M-b’.M)+c’.P+(c’.M-c’.M)$ $=(a’-1+b’+c’).M+b’.\overrightarrow{MN}+c’.\overrightarrow{MP}$ $=x’.\overrightarrow{MN}+y’.\overrightarrow{MP},$ d’où $b’=x’=x=b,c’=y’=y=c$ et $a’=1-b’-c’=1-b-c=a.$
3.2.Barycentres
Si $M,N,P$ forment une base affine du plan — c’est-à-dire si il n’appartiennent à aucune droite commune — alors les nombres réels uniques $a,b,c$ de la proposition 6 qui repèrent un point donné $Q$ sont les « coordonnées », dites « barycentriques », du point $Q$ dans la base affine $(M,N,P).$ La terminologie provient de la notion duale, en quelque sorte, de barycentre, qui traduit essentiellement l’idée de « moyenne géométrique » au sens suivant.
Si $M$ est un point du plan et $a$ un nombre réel, le couple $(M,a)$ est considéré comme un « point pondéré » : le nombre réel $a$ est une « masse » numérique, positive ou négative, placée en $M.$ Si donc $(M_1,a_1),\ldots,(M_n,a_n)$ est une suite finie de points pondérés $M_1,\ldots,M_n$ de masses respectives $a_1,\ldots,a_n,$ leur moyenne géométrique, qu’on veut pouvoir établir par exemple en physique comme centre de gravité, est définie, lorsque la somme $a_1+\ldots +a_n$ n’est pas nulle, de la manière suivante :
Définition 4
Le barycentre des points pondérés $(M_1,a_1),\ldots,(M_n,a_n)$ est l’unique point $M$ tel que $a_1.\overrightarrow{MM_1}+\ldots+a_n.\overrightarrow{MM_n}=0.$
Evidemment, cette définition suppose qu’il existe un unique point du plan ayant cette propriété. Il suffit de le définir précisément, grâce à l’origine $O=(0,0),$ comme moyenne pondérée, en posant $M:=\sum_{i=1}^n (a_i/a).M_i,$ où $a=\sum_{i=1}^n a_i$ est la masse du système, supposée non nulle : on vérifie qu’il possède la propriété de la définition, et qu’il est unique en ce sens.
3.3.Applications affines et barycentres
Appelons « combinaison barycentrique » d’un nombre fini de points $M_1,\ldots,M_n$ du plan un point $M$ de la forme $M=a_1.M_1+\ldots+a_n.M_n$ pour $a_1,\ldots,a_n$ des nombres réels tels que $a_1+\ldots+a_n=1.$ Par définition, on a $\sum_{i=1}^n a_i.\overrightarrow{MM_i}=\sum_{i=1}^n a_i.M_i -\sum_{i=1}^n a_i.M$ $=M-1.M=0,$ donc $M$ est le barycentre des points pondérés $(M_1,a_1),\ldots,(M_n,a_n).$ Par exemple, les coordonnées $(a,b,c)$ d’un point $M$ dans une base affine $(A,B,C)$ représentent $M$ comme combinaison barycentrique unique de $A,B,C.$
Soit maintenant $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ une application affine, de partie linéaire $g.$ Pour toute combinaison barycentrique $M=\sum_{i=1}^n a_i.M_i$ de $n$ points $M_1,\ldots,M_n$ on a alors $f(M)=f(O)+g(\overrightarrow{OM})$ $=f(O)+\sum_{i=1}^n a_i.g(\overrightarrow{OM_i})$ (puisque $\overrightarrow{OM}=\sum_i a_i.\overrightarrow{OM_i}$ et $g$ est linéaire) $=f(O)+\sum_{i=1}^n a_i.[f(M_i)-f(O)]$ (par définition d’une application affine) $=f(O)+\sum_{i=1}^n a_i.f(M_i)-\sum_{i=1}^n a_i.f(O)$ $=\sum_{i=1}^n a_i.f(M_i)$ puisque $a_1+\ldots+a_n=1.$ Par conséquent, les applications affines du plan préservent les combinaisons barycentriques au sens suivant :
Proposition 7
Si $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est une application affine et si $M=\sum_{i=1}^n a_i.M_i$ est une combinaison barycentrique de points du plan, alors on a $f(M)=\sum_{i=1}^n a_i.f(M_i).$
Or, puisque $a_1+\ldots+a_n=1,$ l’égalité $f(M)=\sum_{i=1}^n a_i.f(M_i)$ dénote une combinaison barycentrique, de sorte que $f(M)$ est le barycentre des points pondérés $(f(M_1),a_1),\ldots,(f(M_n),a_n)).$ Mais tout barycentre $M$ de points pondérés $((M_1,a_1),\ldots,(M_n,a_n))$ avec $a=a_1+\ldots+a_n\neq 0,$ est défini comme combinaison barycentrique $M=(a_1/a).M_1+\ldots +(a_n/a).M_n.$ En d’autres termes, les applications affines préservent les barycentres, c’est-à-dire les centres de gravité.
3.4.Transformations affines et droites
Enfin, après ce détour instructif par les barycentres, on peut identifier une propriété essentielle des transformations affines : elles préservent les droites affines du plan. Pour s’en convaincre, remarquons que si $M,N$ sont deux points distincts du plan la droite $D=(MN)$ passant par $M$ et $N$ est l’ensemble des combinaisons barycentriques de $M$ et $N,$ c’est-à-dire l’ensemble des points $P$ de la forme $a.M+(1-a).N$ pour $a\in \mathbb R.$ Si donc $f:\mathbb R^2\to\mathbb R^2$ est une application affine quelconque, pour tout tel $P\in D$ on a $f(P)=a.f(M)+(1-a).f(N)$ par la proposition 7.
Autrement dit, soit $f(M)=f(N)$ et alors l’image de $D$ par $f$ est le point $\{f(M)\}=\{f(N)\},$ soit $f(M)\neq f(N)$ et alors l’image $f_*(D)$ de $D$ par $f$ contient au moins deux points distincts, et par ce qui précède elle contient la droite passant par $f(M)$ et $f(N).$ Supposons alors que $f$ est bijective : tout point $Q$ de cette droite $(f(M)f(N))$ est de la forme $Q=b.f(M)+(1-b).f(N),$ et comme $f^{-1}$ est une application affine par la proposition 4, comme avant il vient $f^{-1}(Q)=b.f^{-1}(f(M))+(1-b).f^{-1}(f(N))$ $=b.M+(1-b).N\in D,$ de sorte que $Q=f(f^{-1}(Q))\in f_*(D)$.$ Nous avons finalement démontré la proposition suivante :
Théorème
Si $f$ est une transformation affine du plan euclidien, alors l’image par $f$ d’une droite affine du plan est une droite affine du plan : $f$ « échange » les droites du plan.
0 commentaires